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  • Patrice Delfour

Ils se sont battus !



Fabienne nous raconte qu’un de ses collègues a été sanctionné suite à une altercation avec un autre de ses co-équipiers. Pourtant, les échanges virils arrivent parfois et l’ambiance générale est plutôt bonne, voire très bonne même. Alors, pourquoi aujourd’hui ?


 

Dans cette équipe, à très forte majorité masculine (c’est la seule femme), les taquineries font partie de la culture du groupe. On se moque avec gentillesse, toujours prêt à trouver de quoi faire rire tout le monde. Certes, deux personnes ne s’entendent pas vraiment, mais l’équipe reste soudée et il est agréable de travailler tous ensemble. Finalement, on rigole beaucoup et personne n’a la grosse tête. « Un jour, sans que personne n’y prête attention, les deux frères-ennemis s’échauffent ». Le ton monte et l’un des collègues bouscule l’autre. Ce sont les cris qui alertent le reste de l’équipe. Le combat prend fin. Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé mais le manager décidera de muter ailleurs le premier à avoir levé la main sur l’autre.


Bonne ambiance anodine

Les deux « frères-ennemis ». Un sourire s’amorce comme pour relativiser l’événement. Est-il agréable de devenir la tête de turc pour un instant ? Tant qu’il ne s’agit pas de nous… Sans approfondir la situation de Fabienne, et quel que soit le contexte, taquiner c’est s’amuser sans méchanceté aux dépens d’un tiers. Le contrarier, le faire enrager, l’inquiéter sans gravité, pour rire. La souffrance du taquiné n’est pas recherchée, et pourtant. S’il commence à faire grise mine ou à se renfrogner, le « c’est rien, c’était pour rire » ne tarde pas. Parce que finalement, nous sommes-nous inquiétés de savoir comment la plaisanterie était reçue ?

Quand l’habitude est prise, nous attendons que notre quart d’heure passe, bientôt ce sera le tour du voisin. Et chacun avale sa couleuvre sans rien dire. Si un jour je ne suis pas disposé, je serai un peu plus humilié que d’habitude. Et la répétition dans le temps transformera peu à peu les sorties spirituelles en persécution et victimisation. Jusqu’au jour où la coupe sera pleine, et où je dirai ce que j’ai sur le cœur depuis des semaines, sans que mes collègues comprennent mon attitude.


Eric Berne, fondateur de l’Analyse transactionnelle, parle de « timbre ». Il fait ici référence aux magasins qui vous promettent des lots plus ou moins importants en fonction du nombre de timbres collés sur votre carte de fidélité. Si vous êtes un petit collectionneur, vous irez échanger votre carte dès votre premier timbre, même si le lot a peu de valeur. Si au contraire vous êtes un grand collectionneur, vous attendrez d’avoir plusieurs cartes bien remplies avant de réclamer un gros lot. Nous fonctionnons de même avec nos ressentis. Soit vous parlez dans le feu de l’action pour vous libérer tout de suite, soit vous accumulez votre rancœur jusqu’à l’explosion finale, et de façon disproportionnée avec le dernier événement déclencheur.


Et jeu de pouvoir anodin

Pas étonnant qu’un jour deux personnes en viennent aux mains. « Mais tout est dans le dosage » précise quelqu’un. Mais qui décide de la limite à ne pas dépasser ? Le taquin ou le taquiné ? S’amuser au dépend d’un tiers c’est aussi lui montrer que nous, nous n’avons pas le défaut souligné. Sur ce coup, nous sommes mieux que lui, nous valons mieux que lui. C’est le premier degré (anodin ?) d’un jeu de pouvoir entre les membres de l’équipe.

Dans les jeux de pouvoir, Claude Steiner (un de premiers adeptes de l’Analyse transactionnelle) définit trois degrés de violence. Premier degré : nous sommes au niveau social, sans désagrément au long cours. Deuxième degré : nous sommes au niveau privé. Il n’y a plus de public pour partager la violence des échanges plus profonds et plus dommageables (mais encore réversibles). Troisième degré : l’issue est soit la prison, soit l’asile soit le cimetière.

Pendant que l’équipe de Fabienne joue au premier degré, deux collègues entament un jeu de pouvoir de deuxième degré.


Oui, c’est grave. Il était temps de réagir. Nous pourrions même suggérer d’intervenir quand la bonne ambiance repose principalement sur les plaisanteries entre collègues. Dans le cas de Fabienne, si elle trouve que le manager a exagéré, notons que sa place d’unique femme au sein de l’équipe lui donne droit à un joker. Elle n’est jamais le sujet de l’humour du groupe et elle peut profiter pleinement de cette récréation. Le manager a changé de service le premier qui a bousculé l’autre. Etait-ce injuste de séparer les protagonistes d’un jeu dangereux ?


Que se cache-t-il d’autre derrière ces taquineries ? Ce besoin de se détendre, répond-il à une véritable convivialité ou masque-t-il un stress dont la meilleure thérapie serait le rire ?

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