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Patrice Delfour

Tout dire et tout écrire ?



Vous arrivez sur un nouveau projet, frais et dispo, fort d'une énergie à renverser les montagnes. Quand les difficultés se présentent, vous alertez vos supérieurs. Une première fois. Puis une deuxième… et ainsi de suite jusqu’à la catastrophe. Mais qu’avez-vous donc oublié de dire ?


 

Cette expérience, Yacine ne veut plus la revivre. Tout s’annonçait bien pourtant. Deux mois pour tout organiser, tout préparer. « J’suis large ! ». Les premiers jours passent, ses idées se précisent, le recrutement des équipiers bat son plein. Il est d’autant plus tranquille qu’il est déjà intervenu en tant que chef de projet pour ce client et qu’il s’agit de refaire le même travail pour de nouveaux départements récemment arrivés dans le giron du Pôle Marketing. Sa mission : développer un site web pour chaque nouvelle entité, en intégrant les spécificités de chacune d’elle en respectant les standards du groupe. Dans un second temps, une formation de 3 jours est dispensée à l’ensemble des utilisateurs, par session d’une dizaine de personnes à chaque fois.


Yacine s'interroge ; pourquoi son responsable lui demande d’appliquer une nouvelle méthode ? Est-ce parce que le nouveau commercial a vendu une autre procédure ? L’expert qui accompagne ce projet veut-il tester un nouvel outil ? Le directeur de son agence pense qu’il serait plus rentable de s’y prendre autrement ? « On » considère que sa façon d’avancer n’est pas optimale ? Dans cette ambiance plutôt floue pour Yacine, qui ne partage pas toutes les nouvelle pistes proposées, il alerte régulièrement que le projet prend du retard.

Finalement, le canevas commun à toutes les entités du client est terminé la veille du déploiement. Le premier jour de formation, certaines salles prévues à cet effet ne sont pas encore équipées d’ordinateurs. C’est un cataclysme pour Yacine. Il lui manque des formateurs et on lui envoie des intérimaires. La réaction de la direction ne se fait pas attendre et il est écarté du projet car jugé trop incompétent pour continuer. Face à tant d’injustices, la mort dans l’âme, Yacine se promet qu’on ne l’y reprendrait plus.


Beaucoup de décideurs

Pour Yacine, trop de décideurs et pas assez de décisions ont maintenu le projet sur le qui-vive. Et il a sans doute raison. Qui est le véritable chef d’orchestre garant de l’unisson, du rythme, des entrées de chaque un ? C’est peut-être une évidence, mais sans leader affiché et investi, sans ligne directrice claire et précise, tous les coups sont permis.

Plus grave encore, la protection du groupe n’est plus assurée. C’est le chef qui défend la frontière du groupe. Quand il y en a plusieurs (ou plus du tout, ou pas assez présent), la frontière est morcelée et les attaques par l’environnement sont alors favorisées.


Mais pas une décision

L’autre question qui taraude Yacine est l’absence de réaction des responsables lorsqu’il les alerte des difficultés qui s’accumulent. Nul n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. « Je les ai prévenu, j’ai même envoyé des mails ». En effet, Yacine a signalé à plusieurs reprises que l’équipe n’était toujours pas au complet, que les trames du site web ne sortaient pas, que le support pour la formation n’était pas encore validé… Et cependant personne ne semble s’intéresser à ses problèmes. Yacine ne comprend pas. Son désarroi est d’autant plus grand qu’il voit bien comment les choses vont tourner pour lui si la situation ne se redresse pas rapidement. Alerter ne suffit donc pas ?

Non, alerter ne suffit pas à rendre responsables les personnes interpelées. Ou alors sous certaines conditions. Puisque celui qui ne veut pas entendre reste sourd, au-delà d’un échange dans un bureau ou par mail, il est prudent de mettre tous les atouts de son côté.

  • Organiser une réunion avec toutes les parties prenantes

  • et avec un ordre du jour précis et concis.

  • La réunion se commence en rappelant l’objectif qui est attendu (ici, le plan d’action pour remettre sur les rails le projet).

  • Ne pas avoir honte d’afficher son incapacité à régler les incidents rencontrés.


Il devient alors de la responsabilité de tous de réagir et pas seulement à Yacine, dans notre exemple, d’assumer les échecs. Ce n’est pas lui qui a lancé ce projet. Sa responsabilité est de s’assurer que tout le monde a bien conscience de ce qui se passe réellement et d’obtenir toute l’aide dont il a besoin.


De victime, il deviendra le bouc émissaire qui doit rendre des comptes. Il est difficile de montrer sa vulnérabilité, surtout à sa propre hiérarchie. Nous nous imaginons alors faible et probablement pas à notre place. Mais notre force est justement de savoir parler avec franchise et honnêteté. C’est parce que nous sommes capables de réagir et faire réagir, que nos responsables pourrons nous faire confiance. Au-delà de simples alertes, cultivons notre véritable pouvoir de coopération. Nous ne sommes pas seuls (et n’oublions pas qu’au-dessus des n+1, il y a des n+2).


Alerter en demi-teinte pour se protéger, déplacer la culpabilité et en définitive, pour éviter de dire « je ne sais plus faire ». Quel est le risque véritable de parler à voix basse ?

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